Tous les articles par admin

Une colonie d’orchidées rares dans un marais d’altitude

Dans le virage de la petite route de montagne, une petite parcelle en friche attire mon regard : des buissons de saule à l’arrière plan essayent de gagner de vitesse les hautes herbes luxuriantes en ce mois de juin. Je devine une mégaphorbiae profitant de la fraicheur d’un ruisseau de montagne, où s’écoulent plusieurs jeunes sources gazouillantes

Lorsque je pose les pieds dans les premiers mètres de la parcelle, la terre gorgée d’eau s’enfonce moelleusement sous mon poids annonçant sa qualité d’éponge… avec précaution je progresse vers les tâches de couleur vive qui ont suscité ma curiosité : de superbes chardons des rives aux têtes en pompon rose vif dansent un tango entre des touffes de longues feuilles en ruban…très peu d’épines et tant de grâce dans leurs silhouettes inclinées. De ci de là, les feuilles gauffrées et odorantes des reines des prés me mettent en garde ! Attention ! L’eau prend le pas sur la terre ferme, ici commence la limite mouvante des plantes hygrophiles, autrement dit nageoires recommandées…ou bottes dans le pire des cas.Cirsium-rivulare-fk

Je passe en revue rapidement le contenu de mon coffre mais hélas ! Ces articles ne sont pas disponibles en rayon. La collection été propose un chapeau, des lunettes de soleil et autre protection solaire en cette météo magnifique. Il faudra s’adapter…

Je reviens sur mes pas et me dirige vers les saules blancs qui sont en train de stabiliser la zone humide en captant les sédiments dans leur système racinaire. Le pied en l’air je tombe en admiration sur les étonnantes fleurs en étoile que je révais de rencontrer… une couleur aussi mystérieuse qu’inquiétante, le rubis sombre de la sanguisorbe qui évoque si bien la propriété médicinale de cette plante hémostatique. Rouge sang, le comaret l’est aussi et d’un graphisme à rendre envieux un designer de mode… Proche des potentilles et du fraisier, cette espèce est une variation fascinante sur le motif des rosacées que nous croyons connaître par coeur et qui me surprend encore avec cette espèce rare.

Je prospecte minutieusement autour de mon petit groupe en élargissant le cercle en quête de nouvelles fleurs… et voici des trèfles d’eau, étalés en un beau tapis  sur une surface plus sèche. A défaut des fleurs en dentelle nacrée que j’aurais voulu admirer (elles sont logiquement défleuries depuis un bon mois), je découvre les fruits en capsules de cette plante médicinale rare . Elle confirme en bonne indicatrice que j’explore un « tremblant », c’est à dire une zone humide en cours d’assèchement naturel, toujours le réseau des racines en action, mais que les saules n’ont pas encore colonisés. L’eau est certainement d’une grande pureté et bien oxygénée sur cette friche pour accueillir des plantes aussi remarquables.

Epipactis-palustris2-fkAu milieu des trèfles d’eau, je me penche sur une tige élancée qui file entre les graminées, jalonnée de fleurons d’un blanc nacré tirant vers le beige rosé…comme des papillons posés les ailes entrouvertes pour se réchauffer au soleil. Ente les ailes, une gorge jaune d’or révèle les pollinies d’une orchidée ! Voilà la star des jardins de Grenade : l’épipactis des marais batifole entre les jeux d’eau des sources et les méandres du tremblant et s’y plait tant et si bien qu’elle a installé sa famille. Combien de générations s’y bousculent depuis combien de saisons ?! Pas moins de 80 pieds d’épipactis sont dénombrés sur ce carré de friche de quelques dizaines de mètres carrés… quand la densité de cette plante protégée est à peine de 3 pieds sur des hectares de marais à plus basse altitude ! Maintenant que je les ai repérés, ils exécutent un véritable ballet devant mes yeux ébahis ! Quel incroyable spectacle!… »

Monts du Cantal

Les anémones sous le vent des crêtes

Dans les pelouses naturelles des Monts des Volcans se balancent d’étonnants pompons au gré du vent des crêtes. Hérissés d’aigrettes de plumes, ces drôles de balles soyeuses rappellent les têtes des pissenlits qui poussent dans la vallée. Alors que celles-ci sont fragiles et se brisent au moindre souffle, les pompons des estives résistent jusqu’en été. Pour les admirer, il faut monter au dessus de 1300 m d’altitude…

Fruit d'anemone apiiflora
Fruit d’anemone apiiflora

D’ailleurs, il ne s’agit pas d’espèces de la famille des Astéracées dont les Pissenlit, Salsifi et autre tussilage ont les fruits les plus somptueux, mais d’une catégorie d’anémones sauvages de la famille des Renonculacées.

« Anémone », ce mot bien choisi a pour origine le vent en grec ancien : anemos qui a inspiré le nom de l’outil anémomètre en météorologie.

Ces fleurs montagnardes ont en effet l’habitude de confier au vent leurs semences, un moyen pratique de se balader d’un sommet à l’autre en sautant au dessus du vide comme le ferait un chamois !

Elles sont trois fleurs à égrener leurs pompons au printemps : l’anémone printanière

CoeurAnemonever-fk
Pulsatilla verna

est la première à fleurir en avril, suivie de l’anémone pulsatille et c’est l’anémone soufrée qui clôture la saison des belles printanières. Mystère de la Nature, l’anémone soufrée est une variété jaune de l’anémone des Alpes qui s’est développée exclusivement en Auvergne.

Pour être en fleurs à la fonte des neiges, elles essuient souvent une averse de neige, un retour de l’hiver qui serait dramatique pour les fragiles corolles d’une autre fleur.

Sauf pour les anémones pulsatilles qui ont eu l’inventivité d’emmitoufler leurs feuilles, leur tige et même leurs fleurs dans un duvet soyeux qui leur sert d’isolant naturel. Ce magnifique manteau argenté scintille dans la lumière des dernières  plaques de neige du printemps.

Pulsatilla rubra

Ainsi protégées, elles affrontent les températures nocturnes très basses, mais encore la déshydratation due à la réverbération du soleil sur la neige, et l’insolation violente des sommets.

Les jolis pompons sont aussi une exclusivité des espèces montagnardes.

Bien qu’elle porte le même nom, l’anémone des bois (Anemone nemorosa) ne pratique pas ce mode de dissémination des graines.

Et pour cause, établie dans le sous-bois des hêtraies à l’abri du vent, sa descendance est disséminée par les fourmis forestières. Trait de génie, la « plume » de la graine chez l’anémone des crêtes est remplacée par une pastille sucrée qui attise la gourmandise des fourmis, chez l’anémone des bois.

Anemone apiiflora
Anemone apiiflora

Cuisine paysanne (3) – Revue du Cueilleur-Culteur n°6

 

Les légumes sauvages dans la cuisine paysanne

du Moyen-Age à nos jours (partie 3)

par Véronique Garcia-Pays

Personne ne saurait dire précisément les dates de mise en culture dans les potagers. Aucun écrit à ce sujet ni pour l’agriculture ni pour la cuisine puisque les rares ouvrages culinaires compilent des recettes destinés aux tables bourgeoises et à la noblesse (qui a financé les auteurs, c’est logique!) Or à cette époque, les seigneurs et les riches se nourrissent de gibier essentiellement, abandonnant les légumes et les céréales à la paysannerie. Les recettes paysannes nous sont parvenues par voie orale au fil des générations de cuisinières et n’ont été consignées dans aucun traité de l’époque. Il faut chercher ailleurs l’empreinte des espèces sauvages comestibles, et faire appel à Charlemagne …

Préoccupé par la gestion de ses propriétés dispersées dans son immense empire, il fait établir un ensemble de consignes à l’intention des intendants des domaines, parmi lesquelles un chapitre consacré à l’agriculture. Plus de 90 espèces figurent dans la liste des espèces cultivables, qui ont été à peu près identifiées par les botanistes modernes. Un joli travail d’enquête pour faire le lien entre les noms latinisés des plantes de Carolus magnus et les espèces actuelles, sachant que la confusion a régné dans les esprits jusqu’au XVIIème siècle environ !

La blette, une affaire d’ usurpation d’identité

Par exemple, la tourte aux blettes de Nice était-elle préparée avec les mêmes légumes que les farçous garnis avec les bettes en Aveyron ? Bien -sûr aurais-je affirmé avec certitude : les bettes et les blettes, c’est la même chose…comme la plupart des personnes d’ailleurs. Si la bette a conquis toutes les recettes traditionnelles aujourd’hui, c’est bien parce que la blette a été oubliée de tous, …un des révélations du capitulaire de Villis qui distingue la « blidas » (blette) de la « betas » (bette). La « blidas » a été identifiée comme étant Amaranthus blitum, l’amaranthe blette ou amaranthe livide, qui était donc cultivée dans les domaines de Charlemagne sous son ordre ce qui n’est pas rien ! Qui plus est sous le climat d’Aix-la-Chapelle…donc avec une rusticité suffisante pour l’ensemble du royaume de France. Par ailleurs la « blita » est le nom crétois de l’amaranthe consommée en tant que légume sauvage par les insulaires, selon les observations de François Couplan.

Ceci étant, les amaranthes appartenant à la famille des Amaranthacées, sont plutôt proches de la quinoa alors que les bettes sont proches des épinards.

Aussi nutritive que le soja, plus facile à cultiver : elle tolère les sols pauvres, et se montre très résistante face aux prédateurs et aux maladies ; l’Amarante ne requiert que très peu d’eau…à tel point que la culture de l’Amarante reste pourtant d’actualité dans des pays comme le Kenya, l’Ouganda, la Zambie ou le Zimbabwe. La culture de l’Amarante apparaît pour certaines ONG une solution plausible face aux problèmes de malnutrition du continent africain, elle pourrait être aussi un élément majeur du régime végétarien occidental en l’absence de protéines animales…D’après les valeurs de François Couplan, elle pourrait concurrencer le tofu de soja sur le plan diététique avec une teneur équivalente en protéines foliaires.

Aujourd’hui qu‘est devenu la blette ? Un légume sauvage toujours présent dans notre environnement mais qui est passé dans la résistance !

Alors que la bette est devenue une espèce maraîchère appréciée dans les potagers auvergnats, les amaranthes sont devenues l’ennemie numéro 1 des jardiniers ! En effet, ces plantes annuelles se ressèment abondamment dans la terre fraîchement retournée et envahit les cultures avec une rapidité et une aisance sidérante. De vraies mauvaises herbes actuelles, tel est le destin dramatique d’un ancien légume très prisé !

Les principes de la cuisine paysanne

De nombreux légumes anciens inscrits au capitulaire de Villis ont été domestiqués depuis la haute antiquité, tels que : l’arroche (Atriplex hortensis), le cresson alénois (Lepidium sativa), le cardon (Scolyma cynara), le concombre (Cucumis sativus), le chou (Brassica sp), la roquette (Eruca sativa) et étaient consommés en simultanéité avec les espèces sauvages présentes dans l’environnement naturel : arroches sauvages (Atriplex halimus et A. hastata, Lepidium latifolia, Crambe maritima, Diplotaxis erucoides, etc.)… force est de constater que toutes ces espèces peuvent être ramassées dans la Nature sur notre territoire, certaines étant cantonnées aux régions méditerranéennes…du moins, avant le réchauffement climatique !

La cuisine paysanne du Moyen-Age s’appuyait sur les principes du régime végétarien actuel : céréales et légumes se partageaient l’assiette du peuple avec les légumineuses, principales sources de protéines végétales avec les légumes sauvages. Outre les lentilles et les pois chiches, base de la nourriture des soldats romains, sont venus s’ajouter plusieurs espèces méditerranéennes telles que le lotier comestible (Lotus edulis), la gesse chiche (Lathyrus cicera) et les jarosses (Vicia articulata, Vicia cracca) , Cependant la dolique mongette (Vigna unguiculata ssp unguiculata) venue des lointaines contrées d’Afrique tropicale semble prédominer sur la culture des plantes sauvages indigènes. Mise en avant dans le texte du capitulaire de Villis, c’est cette mongette qui est à l’origine de la spécialité de la « fabounade » mieux connue sous le nom du cassoulet, avant son éviction par le haricot blanc importé d’Amérique …

Les légumes oubliés apparentés au Céleri

Les Apiacées sont bien représentées dans le potager de Charlemagne et sont autant consommées pour leur feuillage que pour leur racine, car la plupart des espèces ont des racines tubérisées.

Le panais (Pastinaca sativa) dresse sa haute floraison jaune partout au bord des chemins : cette grande plante très ramifiée forme au printemps une rosette de feuilles composées aux folioles rondes dentées. Ses feuilles ciselées parfument délicieusement les crudités. Comme le persil, le feuillage du panais est en effet très aromatique et sa racine blanche tubérisée à une saveur prononcée. Persil tubéreux, carotte (de couleur blanc jaunâtre à l’origine) et panais faisaient partie des « racines » communément cuisinées au pot.

Le maceron (Smyrnium olusatrum) est aussi une Apiacée dont le feuillage ressemble à celui du Céleri. Son habitat favori semble être le bord de mer. Il est encore fréquent en Vendée, dans les Alpes maritimes et sur le littoral méditerranéen. Le maceron peuple les falaises, les prés en bord de mer et s’installe dans les marais salants ainsi que sur les bords de routes de campagne où je l’ai rencontré dans l’Aude.

Il existe aussi des stations ponctuelles plus vers l’intérieur presque toujours à proximité de sites très anciens comme des monastères ou des châteaux médiévaux. Il survit en site abrité car c’est une plante frileuses qui requiert les températures douces du climat maritime. Cette plante robuste se signale par des grosses tiges ramifiées, aux ombelles de fleurs jaunâtres et au feuillage vert foncé luisant. Quand cette plante bisannuelle se dessèche complètement après la floraison, il reste un buisson impressionnant couronné par des grosses graines noires luisantes. Comme le céleri, son feuillage est odorant et comestible…ainsi que la racine et les graines, poivrées et piquantes.

Dans le capitulaire de Villis, deux autres Apiacées apparaissent en bonne place : la livèche (Ligustrum officinale) et l’ache (Apium graveolens). L’ache n’est rien d’autre que le céleri des marais, l’ancêtre de notre céleri cultivé. Cette plante indigène prospère dans les milieux humides : les marais et les bords de ruisseaux ; La livèche s’en distingue par des détails anatomiques de la graine et de la tige, par un parfum spécifique et surtout ses propriétés médicinales.

La livèche est également appelée « ache des montagnes », « angélique de montagne », « céleri » perpétuel » et « herbe à maggi ». Originaire des régions est de la Méditerranée, elle est cultivée en Europe depuis le 9ème siècle et reste très en vogue dans les pays de l’Est où elle est un ingrédient des plats traditionnels.


Cette plante de grande taille est vivace : résistante et rustique, la livèche peut rester en place pendant des années. La livèche est très aromatique et parfumée et toutes ses parties sont comestibles : feuilles, graines, et en particulier sa racine très longue et charnue. Les feuilles fraîches ou sèches parfument de nombreux plats salés ; les graines sont également condimentaires ; les tiges confites sont utilisées en pâtisserie à la manière de l’angélique. Même les racines broyées peuvent se substituer au poivre. (à suivre)

 

Balade florale au château de Vixouze – Polminhac 15