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mes articles parus dans la revue du Cueilleur-culteur (Montjoie 09 – Ariège) et les liens vers les numéros de cette revue.

Cuisine paysanne (3) – Revue du Cueilleur-Culteur n°6

 

Les légumes sauvages dans la cuisine paysanne

du Moyen-Age à nos jours (partie 3)

par Véronique Garcia-Pays

Personne ne saurait dire précisément les dates de mise en culture dans les potagers. Aucun écrit à ce sujet ni pour l’agriculture ni pour la cuisine puisque les rares ouvrages culinaires compilent des recettes destinés aux tables bourgeoises et à la noblesse (qui a financé les auteurs, c’est logique!) Or à cette époque, les seigneurs et les riches se nourrissent de gibier essentiellement, abandonnant les légumes et les céréales à la paysannerie. Les recettes paysannes nous sont parvenues par voie orale au fil des générations de cuisinières et n’ont été consignées dans aucun traité de l’époque. Il faut chercher ailleurs l’empreinte des espèces sauvages comestibles, et faire appel à Charlemagne …

Préoccupé par la gestion de ses propriétés dispersées dans son immense empire, il fait établir un ensemble de consignes à l’intention des intendants des domaines, parmi lesquelles un chapitre consacré à l’agriculture. Plus de 90 espèces figurent dans la liste des espèces cultivables, qui ont été à peu près identifiées par les botanistes modernes. Un joli travail d’enquête pour faire le lien entre les noms latinisés des plantes de Carolus magnus et les espèces actuelles, sachant que la confusion a régné dans les esprits jusqu’au XVIIème siècle environ !

La blette, une affaire d’ usurpation d’identité

Par exemple, la tourte aux blettes de Nice était-elle préparée avec les mêmes légumes que les farçous garnis avec les bettes en Aveyron ? Bien -sûr aurais-je affirmé avec certitude : les bettes et les blettes, c’est la même chose…comme la plupart des personnes d’ailleurs. Si la bette a conquis toutes les recettes traditionnelles aujourd’hui, c’est bien parce que la blette a été oubliée de tous, …un des révélations du capitulaire de Villis qui distingue la « blidas » (blette) de la « betas » (bette). La « blidas » a été identifiée comme étant Amaranthus blitum, l’amaranthe blette ou amaranthe livide, qui était donc cultivée dans les domaines de Charlemagne sous son ordre ce qui n’est pas rien ! Qui plus est sous le climat d’Aix-la-Chapelle…donc avec une rusticité suffisante pour l’ensemble du royaume de France. Par ailleurs la « blita » est le nom crétois de l’amaranthe consommée en tant que légume sauvage par les insulaires, selon les observations de François Couplan.

Ceci étant, les amaranthes appartenant à la famille des Amaranthacées, sont plutôt proches de la quinoa alors que les bettes sont proches des épinards.

Aussi nutritive que le soja, plus facile à cultiver : elle tolère les sols pauvres, et se montre très résistante face aux prédateurs et aux maladies ; l’Amarante ne requiert que très peu d’eau…à tel point que la culture de l’Amarante reste pourtant d’actualité dans des pays comme le Kenya, l’Ouganda, la Zambie ou le Zimbabwe. La culture de l’Amarante apparaît pour certaines ONG une solution plausible face aux problèmes de malnutrition du continent africain, elle pourrait être aussi un élément majeur du régime végétarien occidental en l’absence de protéines animales…D’après les valeurs de François Couplan, elle pourrait concurrencer le tofu de soja sur le plan diététique avec une teneur équivalente en protéines foliaires.

Aujourd’hui qu‘est devenu la blette ? Un légume sauvage toujours présent dans notre environnement mais qui est passé dans la résistance !

Alors que la bette est devenue une espèce maraîchère appréciée dans les potagers auvergnats, les amaranthes sont devenues l’ennemie numéro 1 des jardiniers ! En effet, ces plantes annuelles se ressèment abondamment dans la terre fraîchement retournée et envahit les cultures avec une rapidité et une aisance sidérante. De vraies mauvaises herbes actuelles, tel est le destin dramatique d’un ancien légume très prisé !

Les principes de la cuisine paysanne

De nombreux légumes anciens inscrits au capitulaire de Villis ont été domestiqués depuis la haute antiquité, tels que : l’arroche (Atriplex hortensis), le cresson alénois (Lepidium sativa), le cardon (Scolyma cynara), le concombre (Cucumis sativus), le chou (Brassica sp), la roquette (Eruca sativa) et étaient consommés en simultanéité avec les espèces sauvages présentes dans l’environnement naturel : arroches sauvages (Atriplex halimus et A. hastata, Lepidium latifolia, Crambe maritima, Diplotaxis erucoides, etc.)… force est de constater que toutes ces espèces peuvent être ramassées dans la Nature sur notre territoire, certaines étant cantonnées aux régions méditerranéennes…du moins, avant le réchauffement climatique !

La cuisine paysanne du Moyen-Age s’appuyait sur les principes du régime végétarien actuel : céréales et légumes se partageaient l’assiette du peuple avec les légumineuses, principales sources de protéines végétales avec les légumes sauvages. Outre les lentilles et les pois chiches, base de la nourriture des soldats romains, sont venus s’ajouter plusieurs espèces méditerranéennes telles que le lotier comestible (Lotus edulis), la gesse chiche (Lathyrus cicera) et les jarosses (Vicia articulata, Vicia cracca) , Cependant la dolique mongette (Vigna unguiculata ssp unguiculata) venue des lointaines contrées d’Afrique tropicale semble prédominer sur la culture des plantes sauvages indigènes. Mise en avant dans le texte du capitulaire de Villis, c’est cette mongette qui est à l’origine de la spécialité de la « fabounade » mieux connue sous le nom du cassoulet, avant son éviction par le haricot blanc importé d’Amérique …

Les légumes oubliés apparentés au Céleri

Les Apiacées sont bien représentées dans le potager de Charlemagne et sont autant consommées pour leur feuillage que pour leur racine, car la plupart des espèces ont des racines tubérisées.

Le panais (Pastinaca sativa) dresse sa haute floraison jaune partout au bord des chemins : cette grande plante très ramifiée forme au printemps une rosette de feuilles composées aux folioles rondes dentées. Ses feuilles ciselées parfument délicieusement les crudités. Comme le persil, le feuillage du panais est en effet très aromatique et sa racine blanche tubérisée à une saveur prononcée. Persil tubéreux, carotte (de couleur blanc jaunâtre à l’origine) et panais faisaient partie des « racines » communément cuisinées au pot.

Le maceron (Smyrnium olusatrum) est aussi une Apiacée dont le feuillage ressemble à celui du Céleri. Son habitat favori semble être le bord de mer. Il est encore fréquent en Vendée, dans les Alpes maritimes et sur le littoral méditerranéen. Le maceron peuple les falaises, les prés en bord de mer et s’installe dans les marais salants ainsi que sur les bords de routes de campagne où je l’ai rencontré dans l’Aude.

Il existe aussi des stations ponctuelles plus vers l’intérieur presque toujours à proximité de sites très anciens comme des monastères ou des châteaux médiévaux. Il survit en site abrité car c’est une plante frileuses qui requiert les températures douces du climat maritime. Cette plante robuste se signale par des grosses tiges ramifiées, aux ombelles de fleurs jaunâtres et au feuillage vert foncé luisant. Quand cette plante bisannuelle se dessèche complètement après la floraison, il reste un buisson impressionnant couronné par des grosses graines noires luisantes. Comme le céleri, son feuillage est odorant et comestible…ainsi que la racine et les graines, poivrées et piquantes.

Dans le capitulaire de Villis, deux autres Apiacées apparaissent en bonne place : la livèche (Ligustrum officinale) et l’ache (Apium graveolens). L’ache n’est rien d’autre que le céleri des marais, l’ancêtre de notre céleri cultivé. Cette plante indigène prospère dans les milieux humides : les marais et les bords de ruisseaux ; La livèche s’en distingue par des détails anatomiques de la graine et de la tige, par un parfum spécifique et surtout ses propriétés médicinales.

La livèche est également appelée « ache des montagnes », « angélique de montagne », « céleri » perpétuel » et « herbe à maggi ». Originaire des régions est de la Méditerranée, elle est cultivée en Europe depuis le 9ème siècle et reste très en vogue dans les pays de l’Est où elle est un ingrédient des plats traditionnels.


Cette plante de grande taille est vivace : résistante et rustique, la livèche peut rester en place pendant des années. La livèche est très aromatique et parfumée et toutes ses parties sont comestibles : feuilles, graines, et en particulier sa racine très longue et charnue. Les feuilles fraîches ou sèches parfument de nombreux plats salés ; les graines sont également condimentaires ; les tiges confites sont utilisées en pâtisserie à la manière de l’angélique. Même les racines broyées peuvent se substituer au poivre. (à suivre)

 

Cuisine paysanne (2) – Revue du Cueilleur-Culteur n°6

Les légumes sauvages dans la cuisine paysanne

du Moyen-Age à nos jours (partie 2)

par Véronique Garcia-Pays

Bette-maritimeNLes légumes de la potée aux choux font partie des espèces les plus anciennement cultivés: l’origine de l’oignon, le choux et le navet se perd dans la nuit des temps. D’autres comme la carotte et le panais sont présents à l’état sauvage sur notre territoire et furent consommés par les gaulois et les romains bien avant le Moyen-Age. La ciboulette et l’oseille sauvage sont fréquentes dans les prairies naturelles des moyennes montagnes. La bette (Betta maritima) se ramasse sur les côtes sableuses du littoral français. Le poireau et l’ail des vignes sont des cueillettes printanières dans la région du Midi. Toutes ces espèces sont faciles à récolter dans la Nature, tandis que certaines ont été apprivoisées dans l’hortus conclusus (jardin clos), d’autres sont restés une ressource sauvage dont l’usage s’est transmis jusqu’à nos jours. D’autres enfin ont fait une incursion de plusieurs siècles dans les carrés de culture avant d’être remplacés par d’autres espèces plus à la mode.

La population étant principalement rurale au Moyen-Age, il suffit de sortir de la maison pour être plongé dans la Nature, les hameaux sont enchassés dans la Nature qui est partout : de l’autre côté de la clôture s’étendent les prairies et les bois dans un maillage très dense de haies touffues et de plessis servant de clôture vivante. Ce qui n’est pas cultivé au jardin est à portée de main dans la campagne.

En Auvergne, j’ai vu préparer le « pounti » par une vieille dame, pour ramasser les « herbes » du farci, elle est allée au fond du jardin…Ciboulette et persil, bettes et oseilles poussent pêle-mêle dans le potager auvergnat traditionnel, me faisant faire un bond dans le temps, au fil des pages enluminées du Mesnagier du XIVème siècle. Dans ce très ancien carnet de recettes, nos aïeux incorporaient les mêmes « herbes » aux tourtes, aux brouets verts et aux omelettes, en y ajoutant quelques brins de sauge et de menthe. Comment préparer la tarte aux « espinoches » (les épinards), alors que ces légumes sont absents* du potager médiéval?! Avec cet indice, plus d’hésitation à avoir : il faut aller voir de l’autre côté du miroir… me voici lancée sur la trace des plantes sauvages.

*introduits au XVIème siècle par Catherine de Médicis

moureyou-fkAu delà des limites du potager, s’étend la prairie à vaches, longée par un chemin creux où les gens du pays savent trouver dans le fouillis des arbustes de la haie, les fameux « repounsous » qui prolifèrent sous le couvert des grands frênes. Dans le Tarn et en Aveyron, les pousses du tamier (Tamus communis) sont l’ingrédient principal de recettes qui perpétuent les usages locaux apparus avant l’horticulture. Les pousses du « melonou » sont également appréciées des Aveyronnais ; comme la bryone (Bryonia dioica), s’introduit souvent clandestinement dans le jardin, elle pourrait avoir été domestiquée par nos ancêtres. Les exigences écologiques de ces plantes vivaces peuvent sembler un frein au premier abord. Que nenni ! Il suffit de voir comment nos ancêtres ont élaboré des techniques de culture sophistiquées telles que les cressonnières, sortes de bassins en cascade, alimentés par une source pure. Pourquoi n’y aurait-il pas eu aussi la création de bassins pour cultiver le « moureyou » (Montia fontana) récolté dans le Cantal au bord des sources, des sortes de mourronières ?! Mon imagination s’emballe face au mystère qui enveloppe les premiers plants de l’horticulture… 

Cuisine paysanne – Revue du Cueilleur-Culteur n°6

Les légumes sauvages dans la cuisine paysanne

du Moyen-Age à nos jours (partie 1)

par Véronique Garcia-Pays

Il y a dans le Massif central, quantité de traditions alimentaires qui soulèvent un coin du voile posé sur le patrimoine culinaire des plantes sauvages comestibles. Les recettes régionales qui ont fait la réputation de la région Auvergne ont été les premières à me mettre la puce à l’oreille avant que je ne découvre la richesse des départements voisins jusqu’aux rivages du Midi et par extension d’ouest en est des Pyrénées à la Cote d’Azur où chaque population préserve précieusement un fragment de savoir ancestral. Mes explorations botaniques m’ont mises en contact avec des gens friands des produits de la cueillette en pleine Nature, des ruraux tels que les chasseurs et les artisans, et des citadins qui ont gardé le goût des promenades en campagne et la mémoire des usages de leurs aïeuls, souvent devenus des mordus de randonnées ! Mon jardin dans un vieux village de haute Auvergne, m’a lui même révélé l’existence d’une des plantes potagères du Moyen Age, la première de la liste des légumes oubliés que j’ai voulu reconstituer grâce à mes recherches documentaires.

Tandis que mon voisin s’acharne à l’arracher de son potager, j’ai vu un don du ciel dans cette généreuse herbacée qui produit tant de feuillage savoureux dans l’ombre de mon petit lopin de terre Là où les semences modernes s’étiolent et réclament des faveurs du soleil cantonné à l’autre versant, et d’une fumure de nabab …les légumes sauvages oubliés du Moyen Age me font signe de leur feuillage éclatant de santé, ne demandant qu’à se faire connaître et goûter ! Je vous emmène à leur rencontre, quelques unes des herbes qui firent le régal de nos ancêtres et que j’ai adoptées dans mon jardin ensauvagé.

L’héritage des recettes régionales…

cuisine sauvage
farçous de légumes sauvages

Qui n’a mordu dans un farçou aveyronnais ne peut imaginer comment quelques bettes peuvent exalter un beignet frit sur l’étal du marché…gourmandise des feuilles au goût prononcé qui ont marqué de leur verdeur les plats emblématiques tels que le chou farci, le pounti et autre farci vert de la poitrine de porc farci. La préparation cuite des bettes associées aux oignons et au persil, voire à la ciboulette, fait écho instantanément au régime crétois, décrit par François Couplan, qui a perduré dans les campagnes grecques pendant des siècles. Je ne peux que tenter de résoudre l’énigme de l’origine de cette préparation en me plongeant dans les recettes du Moyen Age français. La potée aux choux d’Auvergne et la garbure gasconne, deux autres recettes patrimoniales majeures, balisent la piste qui me mène directement à la cuisine paysanne du XIIIème siècle.

Cela devient une évidence… le mot POTEE a la même origine que les mots potage et potager. Les légumes du potager étant utilisés pour cuisiner la soupe dans le pot en terre : la soupe étant le principal repas des paysans et des gens du peuple. Pour l’anecdote, la soupe s’écrivait dans ces temps reculés, la « souppe» avec deux p…

Grosso modo, il existait donc trois sortes de soupes :

  • le BROUET est le bouillon du ragoût de légumes ou de viande ; il est versé sur une tranche de pain sans les légumes, qui constitue la « souppe ».

  • la POTEE est une soupe qui comporte une partie liquide (potage) et une partie solide : lard, tripes, orge ou épeautre et des légumes. La potée au choux en est la descendante en droite ligne de toute évidence.

  • la POREE est l’ancêtre de notre purée : c’est un hachis de légumes cuit avec de l’eau et plus ou moins épais. Il semble que le nom de la porée médiévale provienne du poireau : Porus en vieux français latinisé…