Cuisine paysanne (2) – Revue du Cueilleur-Culteur n°6

Les légumes sauvages dans la cuisine paysanne

du Moyen-Age à nos jours (partie 2)

par Véronique Garcia-Pays

Bette-maritimeNLes légumes de la potée aux choux font partie des espèces les plus anciennement cultivés: l’origine de l’oignon, le choux et le navet se perd dans la nuit des temps. D’autres comme la carotte et le panais sont présents à l’état sauvage sur notre territoire et furent consommés par les gaulois et les romains bien avant le Moyen-Age. La ciboulette et l’oseille sauvage sont fréquentes dans les prairies naturelles des moyennes montagnes. La bette (Betta maritima) se ramasse sur les côtes sableuses du littoral français. Le poireau et l’ail des vignes sont des cueillettes printanières dans la région du Midi. Toutes ces espèces sont faciles à récolter dans la Nature, tandis que certaines ont été apprivoisées dans l’hortus conclusus (jardin clos), d’autres sont restés une ressource sauvage dont l’usage s’est transmis jusqu’à nos jours. D’autres enfin ont fait une incursion de plusieurs siècles dans les carrés de culture avant d’être remplacés par d’autres espèces plus à la mode.

La population étant principalement rurale au Moyen-Age, il suffit de sortir de la maison pour être plongé dans la Nature, les hameaux sont enchassés dans la Nature qui est partout : de l’autre côté de la clôture s’étendent les prairies et les bois dans un maillage très dense de haies touffues et de plessis servant de clôture vivante. Ce qui n’est pas cultivé au jardin est à portée de main dans la campagne.

En Auvergne, j’ai vu préparer le « pounti » par une vieille dame, pour ramasser les « herbes » du farci, elle est allée au fond du jardin…Ciboulette et persil, bettes et oseilles poussent pêle-mêle dans le potager auvergnat traditionnel, me faisant faire un bond dans le temps, au fil des pages enluminées du Mesnagier du XIVème siècle. Dans ce très ancien carnet de recettes, nos aïeux incorporaient les mêmes « herbes » aux tourtes, aux brouets verts et aux omelettes, en y ajoutant quelques brins de sauge et de menthe. Comment préparer la tarte aux « espinoches » (les épinards), alors que ces légumes sont absents* du potager médiéval?! Avec cet indice, plus d’hésitation à avoir : il faut aller voir de l’autre côté du miroir… me voici lancée sur la trace des plantes sauvages.

*introduits au XVIème siècle par Catherine de Médicis

moureyou-fkAu delà des limites du potager, s’étend la prairie à vaches, longée par un chemin creux où les gens du pays savent trouver dans le fouillis des arbustes de la haie, les fameux « repounsous » qui prolifèrent sous le couvert des grands frênes. Dans le Tarn et en Aveyron, les pousses du tamier (Tamus communis) sont l’ingrédient principal de recettes qui perpétuent les usages locaux apparus avant l’horticulture. Les pousses du « melonou » sont également appréciées des Aveyronnais ; comme la bryone (Bryonia dioica), s’introduit souvent clandestinement dans le jardin, elle pourrait avoir été domestiquée par nos ancêtres. Les exigences écologiques de ces plantes vivaces peuvent sembler un frein au premier abord. Que nenni ! Il suffit de voir comment nos ancêtres ont élaboré des techniques de culture sophistiquées telles que les cressonnières, sortes de bassins en cascade, alimentés par une source pure. Pourquoi n’y aurait-il pas eu aussi la création de bassins pour cultiver le « moureyou » (Montia fontana) récolté dans le Cantal au bord des sources, des sortes de mourronières ?! Mon imagination s’emballe face au mystère qui enveloppe les premiers plants de l’horticulture…