Au bord du chemin, les jolies printanières nous signalent que nous entrons dans la zone des roches calcaires classée en zone Natura 2000 pour sa richesse en orchidées . Les ornithogales ne sont pas ouvertes car le soleil est encore bas : les belles fleurs blanches s’épanouiront en fin de matinée ce qui lui a valu son nom populaire de dame de 11 heures ! J’admire au passage le bugle de Genève au bleu profond rehaussé par les poils soyeux et l’épi dense enroulé en spirale du muscari à toupet dont les premiers boutons virent au violet pur. Mais mon impatience prend le dessus sur le plaisir cette ambiance et je coupe à travers la prairie verdoyante en direction des terres maigres en pente…
Je connais le goût des orchidées pour la compagnie des genévriers commun dans les pâturages à mouton secs et pauvres où le paysan ne remplira pas son fenil. Ici les graminées aux feuilles fines sont transparentes comme un voile sur le paysage : il me suffit d’approcher à pas lents pour voir apparaître entre les fils dorés du rideau, les taches écarlates des orchis mâles. Ils sont vraiment très grands, signe que le milieu est favorable. Isolé au milieu des géants , un superbe orchis bouffon d’un blanc de neige semble irradier la lumière de l’aube, alors que de délicates rayures vertes dessinent à la plume une résille sur les ailes des corolles immaculées. C’est une variation du costume de l’ornithogale pour le bal des orchidées… ! Je croiserai quelques autres orchis bouffon albinos plus loin, éparpillés entre les colonies d’orchidées. Me voici émerveillée par la rencontre avec la star pour laquelle je suis venue avec mon appareil photo !
Un sérapias à langue aux pétales nervurés d’un mauve pâle se cambre fièrement sur sa courte tige… Que cette fleur est donc élégante malgré sa petite taille ! Le pétale inférieur allongé en gouttière est vraiment original. Pour ma première série de photos, je choisis un quatuor de sérapias, puis d’autres groupes plus nombreux, et mélangés à des orchis bouffons et des orchis mâles, d’une composition aussi subtile que des bouquets japonais. Tant et si bien que l’orchis bouffon s’est croisé avec le sérapias à langue pour inventer un superbe hybride à la fleur de sérapias et à la couleur pourpre de l’orchis : une « pierre précieuse » qui couronne mon safari au royaume des orchidées.
Mais je ne suis pas encore au bout de mes découvertes car le terrain devient plus aride et laisse affleurer des rochers …jusqu’à un duo d’Ophrys silloné (O. fusca), en plein épanouissement. En arrière plan, je découvre une colonie d’Aceras Homme pendu (A. antropophora) qui mènent une joyeuse sarabande en exhibant les jambes jaunes de leurs minuscules pantins. Les floraisons sont si abondantes que j’en profite pour trouver le meilleur angle de prise de vue. Dans ce ballet de floraisons remarquables, il me reste à m’extasier devant les chandeliers des Orchis brûlées et leurs dizaines de fleurs nacrées mouchetées de pourpre…
Elles semblent baliser le parcours et m’invitent à me diriger vers le sommet de la butte. Le soleil s’est élevé dans le ciel et commence à chauffer l’atmosphère ainsi que les dalles de pierre du sol toutes tièdes. Il y a comme une ambiance méridionale renforcée par les panaches des genévriers. En m’enfonçant dans les coteaux calcicoles, je suis accompagnée par les papillons blancs de la platanthère que je n’avais pas encore remarqués, et c’est le coeur en fête que je poursuis mon exploration à l’affut de nouvelles exceptionnelles rencontres. Sûrement je vais croiser la listère à deux feuilles, peut-être même que l’orchis grenouille me fera l’honneur de sa robe verte si bien camouflée que chaque rencontre est une nouvelle conquête …une partie du plaisir de cette balade tient à ce suspens.